La Forge Moderne

Village artisan festif à Pau

“ C’est qui Zahia ? ”

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” C’est qui zahia ? “ Voilà le genre de question à laquelle on a dû s’habituer à répondre aux gamins qui vibrent football. Comme une maladie qui s’installe dans la durée, on ne se rend plus compte à quel point nous sommes affectés, jusqu’à ce que cette coupe du monde pousse loin les excès et force à s’interroger. 

Cette coupe du monde sent particulièrement le gaz, et nous avons dû prendre une décision de la diffuser ou non au Barn’s, cœur du village artisan. Ce fut un dilemme cornélien :

  • Diffuser en attendant des réactions de l’intérieur ? Illusoire. Les quelques joueurs ou personnes influentes à qui on prêtait une capacité de distanciation ont récemment montré leur insouciance voire leur bêtise. Et puis chaque vedette du ballon rond en activité est à la tête d’une florissante entreprise souvent familiale. L’argent, toujours l’argent, avec des enjeux collectifs qui dépassent les consciences individuelles.
  • Ne pas diffuser cet événement ? On se prive d’une occasion de rassembler autour d’un événement populaire, de profiter de ce moment pour mettre en scène d’autres cultures par le partage, les savoir faire culinaires, la musique, etc. Quelque part, c’est encore l’argent qui gagne en échappant aux réseaux vertueux que nous aurions pu mobiliser. Et ne pas diffuser pourrait stigmatiser notre lieu, renforcer le clivage qui nous mettrait de fait dans le camp des bobos et autres incurables alternatifs, ceux qui ” évidemment n’aiment pas le foot ” alors qu’il en est tout autrement et que gamins, le frigo familial débordait des vignettes à l’effigie des artistes du ballon rond du moment.

A cause des enjeux écologiques autant qu’en raison des graves entorses aux droits de l’homme, il était donc impensable de diffuser cette coupe du monde comme si de rien n’était, comme il serait dommage de s’en priver pour sa capacité à fédérer par sa dimension populaire.

Personne ne peut le nier, cette coupe du monde au Qatar est particulière. On va entendre de nouvelles questions naïves sortir des cours d’école : “ Un papa footballeur est plus important qu’un papa ouvrier ? On m’a dit que les ouvriers sont morts de chaud en été pour fabriquer les stades alors qu’on fait jouer les équipes en hiver pour les préserver ”, “ C’est vrai qu’ils ont promis de ne pas taper les homosexuels pendant la coupe du monde ?”, ” on m’a dit que le Qatar n’avait aucune tradition du football, pourquoi c’est eux qui organisent ? “, ” on va mettre du froid dans un stade à ciel ouvert en hiver ! ” etc…

Comment en est-on arrivé à un tel grand écart entre la base d’un sport d’essence populaire joué dans toutes les cours d’école et son élite ? Comment peut on encore imaginer des événements aussi déconnectés des enjeux qui nous concernent tous ? L’argument d’une décision de faire cette coupe du monde au Qatar en amont d’une prise de conscience ne tient pas. Quel gâchis de constater de telles dérives. Un sport aussi fédérateur pourrait être un magnifique vecteur de propagation d’idées positives, d’échange, de partage, d’acceptation de l’autre. Quelque part, c’est logique, le côté populaire amène les enjeux, les sponsors, l’argent et toutes les dérives qui gangrènent l’événement sportif le plus suivi de la planète.

Nous avons donc cherché le compromis en proposant à des associations qui luttent contre la corruption internationale de verser une partie de notre chiffre d’affaire généré pendant la diffusion des matchs pour participer au financement des combats. La gangrène qui touche la tête vient des sommes en jeu, il nous paraissait pertinent d’utiliser à notre petit niveau les mêmes armes, l’argent.

On a pensé à faire venir en parallèle des matchs, des acteurs associatifs et culturels locaux en capacité de s’appuyer sur les affiches proposées pour mettre en avant leur univers par la cuisine, la danse, la musique. Nous avons essayé de remettre autant que possible du vertueux dans la balance, de ramener cet événement à une fête populaire, celle des baby foot du bistrot du coin, des autocollants panini écornés sur un frigo, mais décidément, cette coupe du monde sent trop le gaz. Le grand écart est trop périlleux, nous n’avons pas les adducteurs assez souples, personne n’a voulu nous suivre et c’est tant mieux.

Partant du constat que cet événement qui aurait du rester d’essence populaire, fédérateur et positif a été accaparé par une élite politique et financière dont les intérêts vont a l’opposé des enjeux qui nous concernent tous, pas d’autres choix que de décider de ne pas diffuser cette coupe du monde, et d’expliquer à nos enfants pourquoi, histoire qu’elle serve à quelque chose.